Notre série d’interview sur les #Doers se poursuit, découvrez ceux qui rendent possible l’innovation en Afrique. Cette fois-ci, c’est Aimée Abra TENU LAWANI, CEO de Kari Kari Africa et à la tête de tant de projets qui se livre sur son parcours et les challenges de ses entreprises.
Un parcours toujours porté par des valeurs essentielles
A l’âge de 13ans, mon rêve était de devenir journaliste et j’ai eu la grâce d’avoir été sélectionnée pour animer une émission radio portant sur la promotion des droits de l’Enfant. A travers cette émission, j’ai été confrontée aux difficultés et grandes peines des enfants de mon pays. La volonté de passer à l’action grandissait en moi. En 2000, avec l’aide de 4 camarades de classe, nous avons créé l’association STEJ Togo dans le but de contribuer à l’éducation des enfants dans un environnement sain pour leur offrir un meilleur avenir. Je peux dire que depuis très jeune, je suis engagée à travers plusieurs initiatives portant des valeurs sociales et écologiques :
- Zam-Ké, qui signifie « réutilise-moi » en Mina, allie mode, artisanat, développement durable et préservation de l’environnement, en donnant une deuxième vie à des matériaux issus du commerce et de l’industrie (bâches, ceintures de sécurités, sachets plastiques, …). Zam-ké contribue à résoudre les problèmes de gestion des déchets et d’assainissement des villes togolaises tout en créant de l’emploi et des articles de modes, en proposant 2 gammes – la gamme « originale » avec des sacs imperméables et des fournitures scolaires pour les écoliers togolais lors de la saison des pluies, et la gamme « couture » où l’on retrouve des sacs et accessoire au design exclusif où chaque pièce de bagagerie est faite à la main et signée par son créateur.
- ViviFruits, concept lancé en 2013, sans sucre, ni eau, ni conservateur ajouté, les qualités organoleptiques exceptionnelles des jus Vivifruits en font une boisson de fruits tropicaux d’excellence. Au Togo, les seules boissons commercialisées sont importées et sont pasteurisées, malgré une grande fertilité du sol togolais. On œuvre donc à valoriser les productions agricoles et traditionnelles locales et à promouvoir l’économie agricole locale. Il s’agit d’un commerce équitable avec les petits producteurs du pays, permettant ainsi de préserver leur emploi tout en consommant sain.
- Tonassi, ou « aliments » en Kabyè, est une boucherie, poissonnerie, unité de vente de produits locaux et de fruits et légumes agroécologiques.
- Espace Viva qui est le premier centre de loisirs éco-responsable du Togo. C’est le premier édifice de cette taille, à Lomé, construit en utilisant en majorité des matériaux recyclés. Mais c’est avant tout un concept où le but est de remettre en avant la dimension humaine et écologique. En effet, l’écologie est au cœur de chaque activité. Espace Viva compte 4 sections qui produisent et proposent des articles et services pour la clientèle où l’on retrouve ViviFruits, mais aussi le bar Attigomé, une boutique uniquement dédiée à la distribution de produits 100% made in Togo où l’on peut retrouver des produits de Zam-Ké, des classes vertes pour accueillir les enfants et les sensibiliser sur des thématiques comme la protection de l’environnement, l’engagement citoyen, l’alimentation saine, la considération animale, etc., et pour finir, une aire de jeux et de divertissements faite de produits recyclés.
Grâce à ces structures, Mi-Woè, qui est un social business supportant financièrement l’ONG STEJ Togo, permet également de faire vivre la Maison de Quartier d’Agoé Assiyéyé.
Kari Kari Africa, une histoire de mère à fille
Pour revenir à Kari Kari Africa, ce projet m’a été offert par ma maman, tout comme la passion d’entreprendre. Elle était savonnière, j’utilise donc les secrets de sa recette en respectant les normes européennes tout en portant des valeurs sociales et écologiques, toujours indispensables pour moi. C’est en 2012 que j’ai repris sa recette « Pomédi » pour devenir « Pomédi Coco ». La savonnerie est une savonnerie artisanale et traditionnelle avec des procédés séculaires qui ont traversé le temps et les continents. En 2017, se fut le lancement officiel des ventes avec un contrat de distribution dans les pharmacies du Togo, puis en 2020, nous nous sommes lancés sur le marché français. En 2021, nous avons travaillé sur de nouveaux packagings ainsi que de nouvelles offres et nous avons célébrer l’ouverture de notre première boutique vitrine à Espace Viva. Nous avons également lancé le site internet pour le lancement de la vente en ligne, d’abord au Togo, puis en Europe cette année.
Nous valorisons les matières locales brutes telles que le karité, le cacao, les huiles végétales nobles, et nous nous fournissons dans les coopératives de femmes et de jeunes de plusieurs localités togolaises et africaines, aux prix justes.
Nous avons créé nos propres formules et nous avons amélioré les process pour que les nouvelles générations se retrouvent dans toutes ces merveilles traditionnelles. Nous sommes à la pointe de la recherche grâce à notre laboratoire moderne qui allie tradition et modernité en termes de cosmétiques sains de qualité.
L’équipe de Kari Kari Africa compte 18 salariés, moi comprise, et stagiaires en formation professionnelle d’assistant en production cosmétique. Notre équipe est appuyée dans ses activités par des prestataires.
Pour résumer, Kari Kari Africa ce sont des produits qui ne sont pas testés sur les animaux, vegan, fait en Afrique avec des ingrédients de qualité et toujours en respectant un prix équitable. Mais ce sont des valeurs telles que le soutien de l’entreprenariat féminin, des produits (notamment l’huile de palme) issus de l’agriculture paysanne et le respect de l’écologie et de notre environnement.
Une bienveillance qui pousse à l’accompagnement des autres : SECOPROF
Forte de mes expériences, j’ai malgré tout rencontré beaucoup de difficultés pour réussir à entreprendre au Togo. Ici, il n’y a pas de formation professionnelle, pas d’accès aux fournisseurs, pas de moyen de traçabilité. On n’a pas de renseignement sur le fonctionnement du marketing, du packaging, la distribution ni sur les normes existantes à respecter. Sans cet accompagnement, je me suis très vite retrouvée perdue et j’ai commis quelques erreurs dans mon parcours d’entrepreneure. Ça me tenait à cœur que les futurs entrepreneurs dans ce domaine soient accompagnés et ne reproduisent pas les mêmes erreurs que moi, alors j’ai créé SECOPROF qui est un service en cosmétiques aux professionnels. Initié pour accompagner, assister et faire grandir les entrepreneurs et les futurs champions du domaine de la cosmétique au Togo, en Afrique et dans le monde.
Il y a une opportunité énorme en ce qui concerne le marché de la cosmétique en Afrique mais ici, au Togo, l’environnement ne favorise pas l’éclosion des TPME. En effet, en plus du manque d’accompagnement, il faut construire des infrastructures, savoir choisir les bons équipements ainsi que le personnel et les process de recrutement, et investir beaucoup d’argent. L’idée de SECOPROF est d’enlever les tracas, de conseiller et d’accompagner, d’identifier les segments porteurs, d’assurer un accompagnement depuis la conception, l’élaboration et la fabrication des produits de beauté via la marque blanche ou par contrat de fabrication. Ce qui veut dire que nous apportons des conseils de branding et nous fabriquons pour ces marques leurs produits dans notre laboratoire, en respectant les normes. A l’époque de nos mamans, la politique des normes et de la traçabilité n’existait pas.
Encore aujourd’hui, il y a des difficultés de distribution, c’est difficile de faire accepter les produits locaux en officine. Les locaux n’ont pas encore l’habitude d’avoir des produits d’ici dans leur salle de bain, ils sont habitués aux produits de grande consommation. Ce n’est pas encore bien ancré dans les mœurs de consommer local mais les choses tendent doucement à changer.
Aujourd’hui nous accompagnons et guidons 2 marques togolaises et 4 marques de sa diaspora et nous proposons des packages. Par exemple : un package à 200 unités de produits avec une distribution au Togo dans 50 points de vente, des analyses, du branding. Notre différence c’est vraiment l’accompagnement et le soutien. Nous permettons d’éviter de commettre des erreurs importantes et amères.
Toujours plus de challenges pour 2023 ?
Pour 2023, nous avons prévu de vendre les produits Kari Kari Africa en Europe. Nous avons déjà commencé à ouvrir ce marché l’année dernière mais nous avons pour souhait de nous y installer de façon pérenne et de nous y étendre. Nous avons beaucoup de clients issus de la diaspora qui achètent uniquement lorsqu’ils viennent au Togo, nous aimerions leur facilité l’accès à nos produits, et les faire découvrir à d’autres. C’est une belle communauté. On aimerait aussi s’étendre en Afrique, notamment au Bénin, au Ghana et en Côte d’Ivoire.
Nous allons avoir l’ouverture d’un nouveau laboratoire pour les laits et les crèmes, et nous voulons nous concentrer sur le bio.
Le consommateur d’ici a besoin de temps pour comprendre que les produits qui ne sont pas tout lisses ne sont pas des mauvais produits. Notre rêve plus grand rêve serait que les gens se mettent à consommer local.
Concernant SECOPROF, nous voulons offrir un accompagnement encore meilleur pour le personnel avec la mise en place de coaching, de mentoring et la création de programmes d’incubation. C’est quelque chose qui nous tient particulièrement à cœur.
Possible.africa, qu’est-ce que ça vous évoque ?
Tout est possible en Afrique ! Et je suis totalement d’accord avec ça. J’ai monté une entreprise qui s’appelle « Mi-Woè » qui veut dire à la fois « faisons-le » et « nous l’avons fait ». Je me retrouve beaucoup dans le message que ça véhicule. Le changement dont nous rêvons tous est possible. Le dynamisme est déjà là, il faut juste booster les choses. Quand je vois le chemin que j’ai parcouru, avec toutes les difficultés que j’ai rencontrées, je sais que c’est possible. Pour notre génération engagée, je crois personnellement à notre identité de citoyen du monde, à notre africanité et à tout ce que nous faisons pour un retour à nos sources et pour la préservation de notre planète pour les générations à venir.
Le proverbe qui me vient, c’est « seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin ».
C’est pour ça que nous mettons autant de cœur à accompagner les entrepreneurs de la cosmétique.
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